"Je suis ta Nuit": des réponses à vos questions
Publié le 11 Juillet 2010
Hello,
Vous avez été nombreux à me poser des questions à propos de « Je suis ta Nuit », notamment depuis ma participation à certains prix comme celui de Rennes, puis après la sortie en poche du roman.
Manon par exemple m’a écrit ceci :
« Votre façon de présenter l'histoire dans le livre ma plongé dedans sans que je m'en rende vraiment compte.
Je n'ai pas mis longtemps à le lire tellement je l'ai aimé. J'ai du mettre moins d'une semaine à le lire, je me suis étonnée moi-même en fait. Je voudrais vous poser une question : comment vous est venue l'idée du bonhomme nuit et de tous ces meurtres ? (car je suppose que le bonhomme nuit et ses meurtres sont de votre propre imagination. Dite- moi si je me trompe ?)
Je vous avouerai que j'espère que vous me répondrez. Mais je pense que vous devez recevoir pas mal d'autres lettres à lire, c'est d'ailleurs pour cela que la mienne est relativement courte.
Je souhaite véritablement que vous me répondiez... »
Voici le courrier d’Alexandre :
« Je n'ai vraiment pas l'habitude d'écrire à un écrivain, mais cette fois, je vais faire une exception. Je suis ta Nuit est un des livres que je préfère. Fan des livres fantastiques et policiers, le vôtre étant un mélange des deux puisque qu'une enquête existe pour savoir qui est le « Bonhomme Nuit », lui-même qui (je pense) n'existe pas dans la vraie vie. Pouvez-vous me dire d'où vient l'inspiration pour ce livre ? Certains personnages ont-ils existé ? Dans quel personnage vous représentez-vous ?
Bon, quand on lit ce livre, le soir, avant d'aller se coucher, à la lumière de la lampe de chevet, et si en plus nous avons une imagination débordante, on peut avoir un peu peur (surtout le matin, lorsque je me suis découvert dans le miroir, j'ai eu l'impression d'avoir les yeux noirs, ils étaient seulement gonflés de fatigue). C'est la première fois que ça m'arrive ! Et je ne m'en plains pas ! C'est encore mieux que les films, là, on peut laisser libre cours à notre imagination.
Ce que j'ai vraiment bien aimé (je pourrais dire tout), ce sont les descriptions des cadavres VIA la vision des enfants. Leur naïveté me fait rire. Il y a aussi les animaux. Le corbeau, le doberman, les scarabées, le sanglier (original, celui-ci, je l'aime bien)...
J'ai écrit tout cela pour vous dire BRAVO ! »
Anaïs, 16 ans, a écrit ceci :
« Bonjour, j'ai lu Je suis ta nuit. J'ai adoré, je trouve l'histoire passionnante, transportante. Je l'ai lue en une journée, je voulais à tout pris connaître la suite. Mais une chose m'a peut-être échappé, c'est pour cela que je souhaite vous poser une question. Pourquoi Maël ( qui est mon personnage préféré) s'est-il suicidé? Etais-ce pour que le Bonhomme Nuit ne revienne plus jamais? Ou pour fuir la réalité?
Merci d'avance pour la réponse et pour m'avoir transporté dans cet univers. »
Merci à vous Anaïs, Alexandre, Manon et les autres, qui prenez le temps d’écrire, de donner vos sentiments, de poser vos questions, et merci de tout coeur d’avoir aimé cette histoire ! Comme vous postez vos messages par mail et non en commentaire, je suis moins rapide pour répondre, mais je lis tout, parfois avec du retard. Ces courriers me font très plaisir. Je le répète pour les autres : privilégiez les messages par commentaire, dans un blog c’est beaucoup plus pratique, dans ce cas j’essaie de répondre au fur et à mesure.
Maintenant, je vais essayer de répondre à quelques-unes de vos questions.
Comment vous est venue l'idée du bonhomme nuit et de tous ces meurtres ?
Ces meurtres sont imaginaires, je n’ai pas été confronté personnellement à ce genre de situation, heureusement. L’idée de faire passer un message via des meurtres (c’est ce que fait Maël) apparaît souvent dans les histoires mettant en scène un tueur psychopathe (dans le film « Seven » par exemple). Le personnage de Maël aussi est imaginaire. Les autres (la bande de Pierre) sont très inspirés par la réalité, autrement dit par mes amis d’enfance. Je voulais une histoire d’enfant meurtrier, parce que je trouvais cela vraiment terrifiant, et mon but était de me faire peur à moi-même, tout en faisant peur aux lecteurs.
Le personnage du Bonhomme Nuit est inspiré par une légende bretonne : on disait aux enfants dans la région de Saint-Brieuc, autrefois, que le Bonhomme Nuit viendrait les chercher s’ils n’étaient pas sages. Il y a donc réellement eu des gens qui ont eu peur, enfants, du Bonhomme Nuit ! J’ai rencontré lors d’un salon à Saint-Malo une personne âgée qui me l’a confirmé. J’ai par contre imaginé son aspect, son comportement, en m’inspirant de tueurs comme Jack l’Eventreur (le Bonhomme Nuit est habillé un peu comme au XIXe siècle) et de personnages fous comme le Jocker de Batman, ou Jack Nicholson dans le film « Shining ».
Pouvez-vous me dire d'où vient l'inspiration pour ce livre ? Certains personnages ont-ils existé ? Dans quel personnage vous représentez-vous ?
Pour ce livre, mon premier but était de faire peur : j’ai réfléchi à tout ce qui pouvait terroriser un enfant : le noir, la folie d’un proche, les animaux méchants, le fait de ne pas être compris et soutenu par les adultes, les cadavres, la peur de la mort, etc. J’ai construit l’histoire à partir de là. En réalité, j’ai écrit la première version en 2001 (remaniée ensuite en 2007). Or, le 11 septembre 2001 a modifié ma perspective. J’étais rendu en gros à la moitié du roman. En voyant les attentats à la télé, j’ai trouvé que j’étais trop gentil, et j’ai décidé de tuer la moitié des enfants. On retrouve des éléments qui peuvent rappeler le 11 septembre dans le récit : l’effondrement de l’église par exemple. Le Bonhomme Nuit parle des tours qui tombent. Comme les enfants du récit, les gens se sont retrouvés en 2001 face à des gens qui avaient choisi le néant et la destruction pour armes…
Pour faire peur, il me fallait une situation initiale réaliste, c’est pourquoi, tout simplement, j’ai puisé dans mes souvenirs d’enfance, et la plupart des enfants de la bande ont existé. 50 % du récit, en ce sens, est donc réaliste. Ensuite, dans chaque chapitre, j’ai déformé la réalité. Par exemple, nous avons bien trouvé un cadavre en faisant du canoë, et nous avons jeté des pierres dessus, mais il s’agissait d’un mouton. C’est le travail d’un auteur je pense : utiliser la réalité puis la tordre pour qu’elle serve son histoire. Le village de Duaraz existe presque à l’identique : il s’agit de Betton, en Ille-et-Vilaine. La plupart des lieux décrits sont toujours visibles. Quant au personnage dans lequel je me retrouve le plus c’est bien sûr Pierre, même s’il est certainement beaucoup plus « héroïque » que moi.
Pourquoi Maël s'est-il suicidé? Etais-ce pour que le Bonhomme Nuit ne revienne plus jamais? Ou pour fuir la réalité?
Les deux, je crois. A travers ce livre je voulais aussi poser cette question : comment peut-on réagir face à une force aussi noire et puissante que le Bonhomme Nuit (qui peut aussi représenter la part sombre de l’humanité) ? C’est à cette question que veut répondre le narrateur du prologue (Pierre adulte). Après avoir été détruit par son père et lâché par sa mère (donc par le monde des adultes), Maël s’est enfermé dans sa souffrance, sa détresse, son vide: il ne parvient pas à sortir de ce gouffre. Les enfants de la bande, eux, affrontent l’adversaire ensemble, avec une certaine naïveté, avec des armes comme l’imaginaire, l’innocence, l’amitié, la bonté… Ils ne sont jamais seuls. Maël est détruit avant tout parce qu’il est perdu dans sa solitude : il ne peut plus communiquer au point que ses seuls messages sont des cadavres.
Je crois (car je n’ai pas toutes les explications, vraiment) qu’il se donne la mort parce qu’il ne peut plus supporter la réalité, et en espérant tuer le Bonhomme Nuit. C’est un échec d’ailleurs selon moi, et Pierre tente de le lui faire comprendre. Je ne pense pas que le Bonhomme Nuit sera détruit : il peut être chassé, pas détruit (c’est pourquoi Pierre, adulte, dit qu’il continue à veiller) Certaines personnes ont dit que ce livre n'était pas fait pour des jeunes car il parlait du suicide. Je crois que c'est d'abord se voiler la face, et je pense qu'au contraire c'est un livre qui ne parle pas du suicide mais de la manière dont des jeunes vont faire face à la puissance du néant, de l'obscurité. Il peut s'agir du suicide, du désespoir, de la part sombre de l'humanité (peut-être de chacun d'entre nous), bref de tout ce que représente le Bonhomme Nuit. A la fin du récit, Pierre donne toutes les clés pour cela. Il échoue à sauver Maël, en réalité tué par le comportement de ceux qui auraient dû le protéger, mais pas à repousser le Bonhomme Nuit.
Voilà pour quelques questions. Si vous voulez d’autres commentaires, vous en trouverez en ligne sur mon site dans la rubrique « Je suis ta nuit », et même des réponses plus détaillées qu’ici à la plupart de vos interrogations. Voici par exemple un article sur « La part de réalité » dans ce roman, avec des illustrations, des documents : La Part de réalité.
Ici vos trouverez trois interviews très complètes: Interviews Je suis ta nuit.
Bonne lecture! A très bientôt.